Ce n’est un secret pour personne : le monde du travail peut être compétitif. Mais on n’est pas toujours préparé au fait d’être mis en concurrence directe avec d’autres collègues.
Dans cette première histoire, je vous fais part de quelques pistes qui m’ont aidée à gérer sainement cette inévitable compétition. Est-il possible de briller sans écraser les autres ? Comment ne pas céder à la jalousie ? Comment se concentrer sur sa propre évolution et ses propres objectifs lorsqu’on n’est pas la préférée qui a toutes les faveurs? Face à un tel malaise, est-il possible d’aborder honnêtement un traitement vécu comme injuste avec son chef ?
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Au moment où j’ai commencé à écrire ces lignes nous étions à quelques jours du mariage princier de l’année. Le prince anglais Harry épousait Meghan Markle, une actrice américaine divorcée d’origine afro-américaine: aaaah le conte de fées des temps modernes pour toutes les grandes rêveuses élevées aux classiques de Disney, où il faut bien la dire, la princesse avait rarement ce profil.
J’avais découvert l’heureuse élue, il y a quelques années dans le casting de la série américaine Suits qui plongeait le téléspectateur dans l’univers d’un cabinet d’avocats d’affaires.
J’ai rapidement accroché à l’intrigue haletante mais j’ai finalement décidé de ne plus la regarder au début de la seconde saison tant la série me rappelait d’un peu trop près mon univers professionnel (une série n’est-elle pas censée vous permettre de vous évader ?).
Bien que les procédures judiciaires américaines soient tout à fait différentes de notre système, je trouve que la série dresse un portrait plutôt réaliste de l’atmosphère particulièrement compétitive qui peut régner au sein d’un cabinet d’avocats d’affaires d’envergure, pas seulement au niveau des jeux politiques des décideurs, mais tout simplement déjà au plus bas de la pyramide.
J’en ai fait moi-même l’amère expérience.
Comme un vent de fraicheur
L’arrivée d’un nouveau membre dans une équipe apporte indéniablement un vent de fraicheur et un certain intérêt. Je n’y ai pas fait exception : durant les premiers mois, j’étais l’attraction du moment.
Alors, la lune de miel commence. J’assistais à toutes les réunions et plaidoiries intéressantes , on me présentait à tout le monde comme la dernière recrue certainement pleine d’avenir, on organisait un lunch de bienvenue en mon honneur où tout le monde semblait trépigner de faire ma connaissance. J’étais aux anges.
Cela ne dure qu’un temps.
Car le problème avec la nouveauté c’est qu’elle s’essouffle et on attend très rapidement que vous fassiez vos preuves.
Or, petit détail : on peut dire qu’au début je n’y connaissais rien. J’avais littéralement tout à apprendre de mon métier et les dossiers n’attendaient pas forcément que je sois à jour ou opérationnelle. The show must go on !
Les premières erreurs ou la lenteur de tâches liées à mon manque d’expérience ont définitivement étiolé l’intérêt des premiers jours.
Au départ, j’avais la chance de ne pas avoir de concurrente directe sur mes dossiers donc mes supérieurs n’avaient pas d’autre choix que de me laisser le temps de prendre mes marques.
La dynamique a changé lorsqu’une nouvelle collaboratrice ayant plusieurs années d’expérience de plus que moi a rejoint les rangs du département.
Même si elle était censée travailler pour un autre avocat du département, elle était devenue à son tour l’attraction du moment donc tout le monde se bousculait pour tester ses compétences.
Il faut dire qu’elle avait tout pour elle : elle parlait parfaitement 4 langues dont l’allemand (ô frustration immense pour moi, vous comprendrez pourquoi dans un prochain épisode), elle était plus expérimentée et pour couronner le tout, elle s’était pratiquement liée d’amitié avec l’un de mes supérieurs alors que je galérais depuis un peu plus d’un an pour établir un lien fonctionnel avec ce dernier.
Elle m’avait littéralement coiffée au poteau en quelques semaines tout en gardant le sourire aimable. Elle était très forte.
Cette nouvelle dynamique s’est rapidement reflétée dans mon travail. Peu à peu, les dossiers qu’on me confiait se réduisaient tant dans la quantité que dans la qualité.
J’étais dans la merde.
Petite pause : il est indispensable de comprendre pour l’histoire que l’unité de mesure de votre valeur en tant que collaborateur c’est le nombre de dossiers qui vous sont confiés et le nombre d’heures que vous y consacrez et qui sont facturées au client. Si vous êtes débordés de travail, vous pourrez facturer beaucoup d’heures de travail et atteindre vos objectifs annuels. Vous êtes alors la crème de la crème. La pire chose qui puisse vous arriver est qu’on ne vous confie peu ou plus de travail : traduction on ne vous fait plus trop confiance et en plus vous n’atteindrez pas votre objectif qui est observé de très près. C’est un postulat que j’avais accepté en commençant ma carrière dans une telle structure. Sauf que je n’avais pas prévu qu’une tierce personne vienne me doubler si rapidement sur mon propre terrain.
Souviens-toi l’été dernier
Le malaise a atteint son apogée lors de la période d’été, généralement plus calme. En principe, mon supérieur avait l’habitude de me donner une liste des dossiers en cours à suivre en son absence et de me référencer en tant que personne de contact auprès des clients.
A la veille de son départ de vacances, voyant qu’il ne m’avait toujours pas communiqué ladite liste, je suis allée le trouver pour m’assurer qu’il n’avait pas oublié.
Il m’a d’un air lointain communiqué deux questions mineures à vérifier et confirmé qu’il n’y aurait pas trop de matière à suivre en son absence. Il m’assurait avoir juste demandé à la nouvelle recrue de contacter l’un ou l’autre client en particulier pour des dossiers qu’il avait traités avec elle.
En soi, bizarrement, au niveau humain la nouvelle recrue et moi avions une entente cordiale. D’ailleurs, je ne lui avais jamais parlé du malaise que je ressentais. Au détour d’une conversation banale avec elle, j’ai en fait compris que mon supérieur lui avait donné une liste astronomique de dossiers à traiter et lui avait confié la tâche de contacter plusieurs clients dont certains m’étaient normalement attribués. J’étais K.O.
Jeu, set et match ?
Parfois, il faut s’admettre vaincu et reconnaître la situation pour ce qu’elle est : elle avait 10.000 longueurs d’avance sur moi ; je ne faisais pas le poids avec ses 2 ans d’expérience de plus et ses langues alors que j’étais la débutante de chez « Débutante Production Unlimited ».
Donc, j’ai ravalé ma fierté et suis allée trouver mon supérieur à son retour de vacances pour lui faire part du malaise et de la difficulté dans laquelle je me trouvais : une personne qui n’était pas censée travailler pour lui récoltait presque tous mes dossiers sans qu’on me donne d’explications.
J’avais besoin de savoir ce que cela impliquait pour la suite: voulait-on me remplacer par elle ? J’avais besoin de réponses.
Je ne suis pas passée par quatre chemins. Je pense qu’il a été très étonné que je sois aussi directe. Il était assez embarrassé et a pris acte du fait que la situation n’était pas évidente à gérer pour moi. Il allait tâcher de faire attention à l’avenir.
Il n’avait pas du tout l’intention de me virer. Le fait que je lui ai parlé de ma vérité sans faire semblant que tout allait bien a été providentiel. Il aurait pu me dire aussi qu’il fallait que je cherche autre chose mais au moins j’aurais été fixée et j’aurais cessé ce jeu malsain où à la fin j’allais être perdante puisque je serais dans l’impossibilité d’atteindre les objectifs qui m’avaient été fixés au début de la collaboration.
Cela ne s’est pas fait tout de suite, mais au bout d’un certain temps, les choses se sont rééquilibrées.
Pour d’autres raisons internes, elle a de moins en moins travaillé pour mes supérieurs directs et est revenue à son équipe initiale. De mon côté, j’ai pu continuer mon apprentissage en restant dans mon rôle de collaboratrice qui gardait ses distances avec mon supérieur. Je n’ai jamais essayé d’en faire un pote, ni d’aller manger avec lui tous les midis.
J’ose réellement croire que mon malaise énoncé clairement a eu une once d’impact sur sa manière de gérer la situation.
Plusieurs années plus tard, il avait d’ailleurs pris les précautions de me prévenir immédiatement chaque fois qu’on envisageait d’embaucher un profil plus expérimenté que le mien pour éviter que je sois prise de cours ou vive mal les choses. Il a finalement clairement renoncé à une telle embauche car cela boucherait mes perspectives et me mettrait dans une situation inconfortable.
Quelques mois après mon terrible été, la nouvelle recrue a quitté le cabinet pour une autre opportunité.
Une concurrence inévitable
La concurrence est inévitable et parfois très rude. Elle est un postulat de base lorsqu’on amorce une telle carrière. On nous comparera toujours à notre collègue (il a fait plus d’heures que toi, elle est plus rapide ou parle mieux telle langue que toi). Et pour être honnête, on a souvent tendance à s’auto-comparer aux autres.
Pour moi, la concurrence peut être bénéfique quand elle est un facteur d’élévation : lorsque les actions des autres nous donnent envie de nous dépasser ou de faire mieux.
Personnellement, j’ai découvert assez tardivement que j’étais en soi une personne très compétitive alors qu’en fait c’est évident : que ce soit à l’école ou l’unif, j’essayais toujours de me dépasser, de faire encore mieux, être au top. Mais j’ai l’impression qu’il s’agissait davantage d’une concurrence avec moi-même : « Oui tu es capable de faire aussi bien que cette personne. Si elle peut, tu peux, non ? »
Alors faire face à une concurrence aussi frontale peut être carrément déconcertant.
Je ne pense pas que j’aurais gagné quelque chose à attaquer cette personne frontalement (j’étais déjà en position de faiblesse et n’avais aucune chance face à son cv supérieur au mien) ou à lui faire des coups bas en douce (certains diront que je suis naïve).
Au contraire, notre dialogue cordial m’a permis de savoir exactement ce qui se tramait avec mes dossiers et de pouvoir aller faire part de mon malaise au décideur sur cette base. Elle n’était absolument pas sur ses gardes lorsqu’elle me parlait. Elle ne se serait pas ouverte si facilement si je lui avais fait des sales coups.
Reclaiming my time to shine
Enfin, une chose est sure, j’ai accusé le coup, admis humblement qu’elle était une catégorie au-dessus (pas facile pour l’ego) et présenté ma situation réelle peu glorieuse au boss.
Dans mon cas cela a payé mais je pense que ce qui a surtout payé c’est le fait que j’ai malgré tout continué à montrer ma rage et mon envie de continuer à apprendre et d’évoluer même si je n’avais pas encore atteint le niveau de la nouvelle et même si je n’avais presque plus de dossiers sur mon bureau. Je réclamais qu’on me donne ma chance de faire mes preuves.
Je focalisais la conversation davantage sur moi et mon potentiel que sur l’autre. C’était à mon tour de briller mais pour cela il fallait m’en laisser le temps et les moyens.
Stratégie payante. On m’a donné ma chance et j’ai pu me développer.
Je suis reconnaissante aujourd’hui qu’on m’ait donné cette chance mais surtout reconnaissante à moi-même d’avoir pu faire face sans forcément perdre mon âme, chercher à être une personne que je n’étais pas. Faire semblant d’être l’amie ou la « chouchoute » de mon boss ne faisait pas partie de mon projet. Je pense qu’il a respecté cela.
Plusieurs années après cet épisode, à peu près un an avant que je décide de quitter le barreau (voir ma bio pour mon parcours), une nouvelle recrue avait rejoint nos rangs. Le boss a eu ce qu’on appelle un coup de foudre professionnel avec cette nouvelle personne : ils étaient comme cul et chemise. Dans la pièce, toute l’équipe était éclipsée, il n’y avait qu’eux.
Je n’avais jamais eu ce genre de relation avec mon chef, et honnêtement ça ne m’intéressait pas.
Certaines nouvelles recrues bien plus jeunes que moi semblaient parfois plus inquiètes que moi du développement de cette relation et de l’impact pour elles. Dans un sens, je les comprenais, j’étais moi-même passée par là. Par contre, en ce qui me concerne, cela ne me faisait ni chaud, ni froid. J’avais dépassé ce stade. J’étais une avocate confirmée qui n’allait plus trembler à chaque fois qu’une nouvelle personne pointait le bout de son nez.
La concurrence est inévitable mais plus supportable lorsqu’on a confiance en notre propre valeur. Se concentrer sur nous et notre trajectoire est beaucoup plus productif.
Nos actes finiront par parler et nous faire briller.
Je termine par cette magnifique citation qui j’espère vous inspirera :
Don’t compare your life to others. There’s no comparison between the sun and the moon, they shine when it’s their time. »
On est ensemble,
8 comments
Super article! Waouw 🙂 Merci pour le partage et belle continuation à toi. 🙂
Merci beaucoup Rose ! Ton soutien et tes encouragements n’ont pas de prix ! Bises
Wawww super article. Très très bien écrit! J’étais à fond dans l’histoire ahah. Hâte de découvrir la suite.
Merci Jane pour ce super retour ! Et moi super hâte de partager la suite…aux prochains épisodes 😉
C’est tellement bien écrit et vrai…j’ai gardé la petite citation de la fin pour me rappeler de ce que tu as écrit et relire ce passage si les doutes réapparaissent, si je suis de nouveau confrontée au même « problème » (qui comme tu le dis, peut n’en être pas un..). Merci ❤️
Merci ! Tes mots me touchent beaucoup. Avoir un impact positif sur d’autres personnes était mon objectif premier. Cela me montre que le partage enrichit vraiment ! Bises
Merci pour ta transparence. Je dois dire que je suis dans une équipe où je n’ai pas de problème au contraire. Une véritable famille bienveillante. Can’t wait to read next episode
Merci beaucoup pour ton commentaire et ton enthousiasme Diane. Ravie que l’article t’ait plu. J’ai eu de la chance d’avoir rencontré aussi énormément de personnes bienveillantes heureusement malgré des débuts un peu difficiles en termes de concurrence directe et les interactions pas toujours évidentes avec tout le monde ! Avec le recul 10 ans plus tard, je suis reconnaissante de chaque expérience et de ce que j’en ai retiré. Bonne lecture d’autres épisodes sont déjà là. Hâte de recueillir tes impressions…Bises