NON. C’est un des mots que l’on apprend si vite dans la petite enfance et qu’on se plait d’ailleurs, à répéter à toute question posée. Pourtant, dans le cadre professionnel, ces trois lettres d’un abord si simple deviennent presque imprononçables, certainement lorsqu’on commence un nouveau travail, a fortiori s’il s’agit d’un premier emploi. Mais pourquoi ? Dans ce sixième épisode (les épisodes précédents sont accessibles ici), je vous propose de nous y intéresser sous forme d’un scénario en 5 actes que j’ai personnellement vécu à mes débuts. |
Sommaire (temps de lecture: 6 min)
- Acte 1 – Le grand plongeon : parce qu’on débute…
- Acte 2- La tasse : parce qu’on ne veut pas faire de vagues…
- Acte 3- La tempête : parce qu’on doit garder la face…
- Acte 4- La remontada: NON parce que c’est une question de survie…
- Acte 5 – Libérée, délivrée…mais à surveiller
Acte 1 – Le grand plongeon : Parce qu’on débute…
Cela semble couler de source.
Au début, on veut montrer qu’on fait bien les choses, qu’on est motivé(e), que notre patron en a eu pour son argent en nous embauchant, qu’on ne compte pas nos heures, qu’on a la rage d’y arriver, qu’on est aussi bien que les autres qui sont là depuis longtemps et qui savent dans quoi ils ont mis les pieds alors que nous, en vrai, on ne sait encore rien, mais ça on ne veut pas le montrer alors on donne tout et on dit surtout OUI, avec le sourire si possible :
« Commencer ce nouveau dossier de dernière minute à 19h alors que j’allais rentrer chez moi ? Mais bien sûr, chef ! »
Never complain, never explain, me disait parfois un collègue.
On plonge les yeux fermés dans le OUI absolu, sans limites.
Cela a des côtés positifs au début. On se rend alors vite compte que le travail appelle le travail.
Plus on dit oui, plus on pense à nous donner des nouvelles responsabilités, ce qui nous permet d’apprendre et de nous développer (on l’a vu dans l’épisode sur la compétition). On évolue car finalement c’est en forgeant qu’on devient forgeron, non ?
Lentement, mais sûrement.
S’il y a bien une chose que j’ai apprise à la dure en entamant mon métier d’avocate c’est que j’avais vraiment tout à apprendre.
Au début quand on sort des études et surtout si on était bon(ne) étudiant(e), on a l’impression qu’on est top, tout est accompli, on a ce satané diplôme, et si on a la chance d’être embauché(e) par un prestigieux bureau, alors là, je peux vous le garantir, on plane (même si le vol peut être écourté comme l’a montré l’épiosde 1 à re-découvrir ici).
On se prendrait presque pour je ne sais quelle héroïne de série TV, sapée comme jamais , qui, bien sûr, impressionne son auditoire lors de procès hors du commun, avec grande classe.
L’ascension est de courte durée lorsqu’on comprend qu’on doit presque partir de zéro car entre le monde des études et celui du travail, il y a un océan. Et il faut bien reconnaître que la réception après le plongeon est carrément violente (vous voyez le plat le plus immonde que vous ayez vu en compétition de natation? Et bien, c’est encore pire).
On ne sait rien et on nous le fait bien comprendre.
Résultat : on prend du temps pour accomplir les tâches de notre to do list auxquelles s’ajoutent sans cesse de nouvelles tâches qu’on accepte avec un enthousiasme plus ou moins feint.
Acte 2 – La tasse : Parce qu’on ne veut pas faire de vagues…
On tente tant bien que mal de surfer sur la vague, jusqu’à boire l’inévitable grosse tasse.
On est littéralement noyé par le travail. On ne va quand même pas le dire.
On le garde pour nous, on soigne les apparences dans notre tailleur hyper professionnel d’avocate (ou autre métier à haut stress que vous pouvez exercer): mais à ce stade, on a juste le look de l’emploi mais toujours pas la maîtrise du sujet.
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Aïe aïe aïe, ça commence à sérieusement coincer.
La routine métro-boulot-dodo est bien ancrée : on saute de notre lit vers notre bureau qu’on quitte pour replonger dans notre lit sans passer par la case divertissement (diverti-quoi ?).
Notre arrivée quotidienne au bureau s’accompagne d’une boule au ventre, ignorant encore à quelle sauce on va être mangé(e).
Adieux dîners en semaine avec nos amis (qui ont désespérément lancé un avis de recherche nous concernant) et bonjour week-ends de travail avec nos nouveaux amis : les dossiers URGENTS.
La malbouffe est devenue notre réconfort (si après une journée pareille, j’ai même pas droit à un Big Mac ou un « durum-salade-tout-sans oignons-frites à part » alors là y’a plus de justice).
A ce stade, autant dire qu’on ne surfe plus, mais on tente tant bien que mal de remonter à la surface.
« Never complain, never explain », – qu’il disait.
Alors c’est reparti, entre deux respirations (pour ma part mes proches, famille et amis ont toujours été mon oxygène qui me ramenait à la réalité) on pense à « surtout retenir sa respiration et ne pas faire de vagues ».
Acte 3 – La tempête : Parce qu’on doit garder la face…
Il y a un moment tout simplement où le fil casse, où ça ne fonctionne plus.
C’est ce dossier en trop qu’on a accepté alors qu’on n’a matériellement pas le temps. Car finalement, ça ne se fait pas de refuser le travail. La compétition est rude et on ne va pas s’avouer vaincu(e).
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Yes we can ? Bof.
On se raccroche à ce qu’on peut pour tenir, même s’il devient évident qu’on ne tiendra pas la deadline ou que le travail rendu risque de ne pas être à la hauteur.
Et puis, il y a cette douce illusion de croire que sans nous, la machine ne fonctionnera pas : nous sommes le rouage indispensable au fonctionnement de l’équipe, voire du cabinet (ou de l’entreprise si tel est votre cas).
Indispensable, vraiment ?
Combien de personnes si essentielles sont pourtant parties dans l’oubli et l’indifférence la plus totale ? Mais ça, on préfère l’ignorer et se rassurer en pensant qu’on a terriblement besoin de nous et que tout cela vaut le coup.
Au loin, on voit poindre l’orgueil nourri par ce sentiment de toute puissance : on accumule les nouveaux dossiers tout en parvenant à gérer et ça a quand même plus de gueule face au collègue qui nous demande comment ça va avec un vieil espoir qu’on ait craqué, de lui répondre d’un air triomphant – « Je te raconte pas, énormément de travail en ce moment ! Mais ça va je gère ».
Sauf que catastrophe, cette fois-ci on a foiré.
Le boss n’est pas content et nous le fait savoir.
Nous voilà mortifié(e) de ne pas avoir été à la hauteur.
Mais après tout, qu’est-ce que j’espérais en accomplissant cette énième tâche entre la soupe et la patate, avec des arriérés d’heures de sommeil toujours pas récupérées et une deadline pour avant-hier ?
Cette tempête était tout à fait prévisible : je ne m’étais pas donné les moyens de l’excellence que je recherchais ou plutôt j’avais semé les graines de ma propre chute à mes yeux et aux yeux des autres, y compris ceux chargés d’évaluer mon travail.
Ce OUI irréfléchi au prix de s’oublier soi-même, pour faire bien, pour faire bonne figure, pour plaire, pour donner le change même face à des demandes irréalistes m’avait mise dans un pétrin sans nom qui avait non seulement un impact négatif sur mon travail mais aussi sur mon état d’esprit et mon équilibre.
Alors que je suis une personne plutôt positive, joyeuse et souriante, j’avais perdu tout mon jus, dévorée par des angoisses et perdant peu à peu ma confiance à force de faire face à des obstacles devenus presque insurmontables.
J’étais négative par rapport à mes capacités à relever des défis (même à ma portée vu que je doutais de tout) et en bonne voie vers le burn out ou la dépression si je continuais dans cette direction.
Ajoutez à cela un bon vieux sentiment de culpabilité sur lequel certains appuieront volontiers pour vous donner encore plus de travail, ce qui ne fera que perpétuer ce cercle vicieux.
Bref, le citron était presque totalement pressé.
Acte 4 – La remontada : NON, parce que c’est une question de survie…
J’ai appris lorsque j’étais au plus bas que nous avons le pouvoir de nous sauver de cette galère en acceptant nos propres limites et en les déclarant haut et fort malgré la menace (futile) qu’on donne le dossier à quelqu’un d’autre, ou l’impression qu’on gère moins bien que les autres.
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Je me suis aussi rendu compte que c’est en partie à moi-même qu’il fallait dire NON car ce que je m’imposais, je n’y étais pas forcée.
Je pouvais abréger mes souffrances en mettant un stop ou un du moins un frein à ce rythme infernal.
D’autres le faisaient, non ? J’ai commencé par des petits pas.
Step 1 – Get out !
« Merde à la fin, j’ai envie de sortir le jeudi soir et rencontrer du monde ! Ne suis-je pas censée vivre mes plus belles années ? Je donne ma vingtaine à qui là ? Mariée à mon travail ? Non merci ! Je ne vais pas passer à côté de ma vie sans aucune raison valable ! Ca ne vaut pas le coup. »
J’ai alors commencé à réinstaurer des jours de semaine où je sortais avec mes copines (ou autres collègues féminines qui traversaient les mêmes tribulations que moi et avaient besoin de s’aérer).
Quoi qu’il arrive, le jeudi était sacré et je me délectais de débriefer longuement le vendredi matin avec certaines de mes collègues devenues amies sur les épisodes festifs du jeudi soir.
C’était presque devenu un rituel. J’étais bien inspirée car c’est lors d’un de ces jeudis sacrés que j’ai rencontré mon mari ! (Merci prise de conscience et ma collègue/amie qui m’a forcée à sortir même si on avait plein de boulot !).
Step 2 – Accepter la réalité du terrain (et du matin?)
« Je vais arrêter de me mentir, je ne suis pas du matin, donc je vais arrêter de me tuer à essayer d’arriver à l’aube ; j’arriverai au bureau à mon rythme. »
Révélation du siècle ! Venir un peu plus tard que les autres ne faisait pas de moi une moins bonne collaboratrice. Au contraire, j’étais plus en phase avec mon horloge interne et donc plus reposée et disposée à aborder mes journées sous un meilleur jour.
De temps en temps (non soyons honnêtes, souvent), j’avais droit à une blague ou petite pique sur le fait que je n’étais pas matinale mais il n’y avait pas mort d’homme (ni de femme d’ailleurs).
J’ai même constaté que les personnes auxquelles je rapportais s’étaient adaptées et n’attendaient pas de moi que je sois disponible de l’aube aux petites heures de la nuit. J’avais su fixer une limite claire.
De même ils savaient que je n’avais pas de problème à rester plus tard quand il le fallait mais une fois que je rentrais, ou que le week-end commençait, il ne fallait pas trop espérer que je reste scotchée à mes e-mails.
En cas de vraie urgence, ils pouvaient m’appeler.
Il y avait un accord tacite sur base de la limite que j’avais enfin osé fixer.
De même, j’ai commencé à marchander les délais quand je voyais qu’on tentait de m’imposer ce que je détectais comme étant une « fausse deadline» fixée arbitrairement sans réelle urgence derrière.
Je préférais annoncer la couleur et dire que ce serait impossible pour moi de le faire pour le lendemain à 9 heures mais que je pourrais réaliser la tâche pour la fin de la semaine, par exemple.
Les attentes étaient claires et j’évitais d’alourdir inutilement mon planning déjà chargé.
Step 3 – Quand il est temps de se déconnecter
« J’ai besoin de me déconnecter, du coup je vais d’office prendre 3 semaines de vacances que ça plaise ou non. »
J’ai grâce à cela pu organiser de très beaux voyages en me déconnectant totalement. Personne ne s’attendait plus à ce que je travaille pendant mes vacances, contrairement à mes erreurs de jeunesse à mes débuts.
C’était tout simplement une question de survie, d’amour de soi et de respect imposé aux autres. Ils savaient à présent qu’il y avait certaines limites.
Acte 5 – Libérée, délivrée …mais à surveiller
Je me souviens d’une personne que certains n’hésitaient pas à cataloguer « d’esclave » de son travail et de son chef tellement cette personne était corvéable à merci et ne quittait pratiquement jamais son bureau, y compris les week-ends (et jours fériés).
J’ai rapidement constaté que cette personne n’imposait pas tant le respect mais plutôt la pitié. Je trouvais cela très triste et je crois qu’au fond de moi je ne voulais pas devenir ce cas que beaucoup, y compris moi, considéraient comme peu enviable.
Je me le devais à moi-même. Je voulais reprendre le contrôle de ma vie et ne pas la subir.
Quelle libération et quel pouvoir d’être enfin en mesure de dire non mais ne nous méprenons pas ! C’est un exercice de tous les jours, qui demande de s’écouter et d’être réaliste avec ce qu’on est vraiment capable ou pas capable de faire.
Plus qu’un exercice, pour certains comme moi, c’est même un combat d’aller à l’encontre de notre inclination naturelle à vouloir plaire à autrui et à faire les choses « parfaitement » (comme si la perfection existait).
J’admire toujours les gens qui ont cette capacité à se foutre de ce que les gens peuvent penser.
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Je ne fais pas partie de cette catégorie donc j’ai dû véritablement me faire violence pour arriver à trouver ma voie vers le non. Surtout qu’en général, les personnes savent comment jouer sur la corde sensible de votre conscience professionnelle ou de votre perfectionnisme.
Je vais être honnête, cela m’a coûté émotionnellement d’affronter cette peur de déplaire, de ne pas être parfaite, du qu’en dira-t-on, d’être mal perçue mais j’ai gagné au change une liberté, un respect et un meilleur équilibre dans ma vie.
Même si je n’avais pas encore un équilibre idéal – je restais avocate avec une grosse charge de travail mais ça je l’avais voulu – il se rapprochait davantage de MA direction et de MON agenda et ne disait rien de négatif sur mon professionnalisme.
J’en suis venue à la conclusion qu’en effet, le fait de reconnaître qu’on a des limites en disant non était une plus grande qualité que de vendre une Wonder Woman avec son super oui illusoire qui n’existe que dans les films et les séries.
Même si de temps à autre, le naturel revient au galop (« workaholic anonyme bonjour ! ») et que je retombe encore régulièrement dans mes anciennes tendances (à surveiller je vous avais dit), j’ai pris davantage conscience de la nécessité de m’imposer des limites et je fais un effort pour me rappeler à l’ordre afin d’éviter de retomber dans les travers de mes débuts.
Même si je suis loin de la perfection en la matière, je suis fière du chemin parcouru…
*************
Et n’oublions pas ce rappel face à ceux qui veulent nous culpabiliser :
« YOU CAN BE A GOOD PERSON WITH A KIND HEART AND STILL SAY NO »
« Tu peux être une bonne personne qui a bon coeur et tout de même dire non »
Curieuse de savoir si vous arrivez facilement à vous imposer des limites en disant non quand il le faut ou si vous faites partie de la team perfectionniste/workaholic (qui se soigne hein)…
Quoi qu’il en soit, on est ensemble,
9 comments
Cet article doit toucher tellement de gens je pense…savoir dire non et surtout, de manière générale, ne pas vivre pour le regard des gens…encore un article très bien écrit et au cœur d’un vrai problème de la société actuelle 👌👌
Ravie que l’article t’ait plu et qu’il puisse te toucher. Repasse quand tu veux, il y en aura d’autres. Se rendre compte qu’on passe par là est déjà une première étape vers un mieux-être, un mieux-vivre en se souciant de nous avant les autres. Passe une belle journée
Je reconnais bien cette histoire. J’ai moi même mis beaucoup de temps à dire NON. Cela a fini par exploser comme une bombe et j’ai arrêté net de travailler pour des gens qui profitent de cette faiblesse. J’aurais aimé avoir dit non avant que ça ne me touche autant.
Merci pour ton partage. C’était ton chemin et le temps nécessaire pour que tu comprennes de manière radicale l’importance de dire non. L’important est d’être debout aujourd’hui avec une belle leçon de vie en prime et le sentiment d’avoir grandi. Aucun regret à avoir 😉
Merci je me retrouve dans certains de tes partages .ayant vécu un épuisement professionnel …..il y a des choses qui me parlent énormément et me font me rappeler au combien nous nous limitons et nous faisons nos choix ……pas toujours en conscience !!!!!!! Merci pour tes partages 😊
C’est un plaisir de partager mes expériences et de voir qu’on n’est pas seules à vivre ce genre de situations. Merci d’être passée par ici. Reviens quand tu veux.
C’est un plaisir de partager mes expériences et de voir qu’on n’est pas seules sur ce chemin ☺️
Bonjour!
Je suis en plein dedans en ce moment-même… Je deviens corvéable à merci et suis totalement infoutue de dire « non » à mes deux chefs qui n’ont aucune idée des missions qui me sont confiées par l’autre (et qui s’en fichent royalement d’ailleurs…). C’est très dur pour le moral et pour la santé aussi d’ailleurs mais je souhaite vivement me sortir de ce bourbier!! Alors en avant le « non »!
Bonsoir Sarah ! Je suis de tout cœur avec toi et espère sincèrement que tu trouveras en toi les ressources pour avancer dans l’indispensable direction du NON ! La prise de conscience est déjà une belle étape sur ce long chemin ! Car malheureusement il est rare que les autres chefs ou pas se soucient de nos limites. À nous de les (im)poser ✊🏾✊🏼✊🏽 Bises