« Enfin fini. Il ne me reste plus qu’à sauver mon document et l’envoyer, comme ça le boss l’aura dans sa boite mail à la première heure comme il me l’a demandé. Oh la la, il est tard, je réchaufferai un truc vite fait à la maison, il reste encore des pâtes ou alors un… »
Interruption nette du fil de mes pensées. L’ordinateur s’en mêle ou plutôt rame.
1. The rise of the machines
On dirait qu’il perd la boule ; une boule qui tourne sans cesse sur l’écran d’ailleurs.
Ca a l’air assez grave car je ne détecte plus aucune réaction lorsque j’appuie sur les touches du clavier ou clique désespérément à l’aide de ma souris.
Presque à l’agonie, ce cher ordinateur parvient tout de même dans un dernier souffle à poser un diagnostic difficilement déchiffrable pour les non initiés : une certaine erreur 404 y serait-elle pour quelque chose ?
Aussi perplexe que moi sur le remède à lui administrer, la machine déclenche – sans que je ne lui ai rien demandé, plutôt mauvais signe ça – l’ouverture de multiples fenêtres sur mon écran, qui me posent des tas de questions auxquelles je n’ai toujours pas de réponse :
-« Etes-vous sure de vouloir continuer ? ». Euh, pas sûre.
– « Si vous appuyez sur OK… », je perdrai probablement mon document et n’aurai plus qu’à tout recommencer. Et si je ne fais rien, je ne serai pas plus avancée. C’est donc ça le choix de Sophie?!
Entretemps, il est passé dix heures et le technicien informatique (souvent appelé « le gars de l’IT ») est rentré chez lui depuis belle lurette.
Bon, je n’ai pas trop le choix : je tente ma chance, j’appuie sur OK.
Oui…C’est mon dernier mot.
Vissée à mon siège, le cœur qui bât la chamade, j’attends le verdict, sans pouvoir appeler un ami. A ma grande surprise, mon document n’a pas disparu malgré ce dialogue de sourds.
Le soulagement n’était malheureusement que de courte durée. En l’ouvrant, je réalise que cette machine a commis l’exploit de remonter le temps. Le travail de toute une journée s’est évaporé dans les méandres des codes informatiques.
Je n’ai toujours rien mangé et pourtant suis officiellement dans la merde.
2. La faute à qui ?
Ce genre de mésaventure avait le don de m’énerver, d’abord sur la machine qui devenait le réceptacle de toute ma frustration, puis sur le technicien IT qui ne trouvait souvent rien de mieux à me demander que le laconique, voire presque automatique : – « Vous avez essayé de redémarrer votre ordinateur ? », comme si j’étais née de la dernière pluie.
Celui qui a inventé cette réplique cherchait manifestement à battre le record du monde de la question la plus inutile et excessivement énervante (and the winner is… avec les félicitations du jury et une bugging ovation).
Mon sort était définitivement scellé lorsqu’il concluait – « non malheureusement on ne peut rien faire, vous auriez dû cliquer sur {long Blabla informatique incompréhensible} pour récupérer la dernière version du document. » Il n’aurait pas pu le dire avant tout ce charabia ?
Soyons honnêtes, en vouloir à la machine (saleté va !) ou au technicien qui finalement tentait, tout comme moi, de faire son travail avec son lot de difficultés quotidiennes dans un environnement stressant (voy. l’épisode 6 sur la puissance du non et l’épisode 1 sur la concurrence au travail), était la solution de facilité face à l’angoisse de recommencer ce sur quoi j’avais péniblement travaillé pendant des heures, sans savoir si j’allais pouvoir tenir ma deadline.
Et la cerise sur mon gâteau imaginaire, c’est que je n’avais rien dans l’estomac (on n’avait pas encore Uber Eats, ni Deliveroo). Quelqu’un devait en porter la responsabilité et ce quelqu’un n’était pas moi.
3. La loi de Murphy ?
Mais au fond, en parlant de moi, comment m’étais-je mise dans cette galère ? J’étais pourtant juste à temps.
Je crois que c’est bien là que se situait le problème.
J’avais planifié ma remise du document en ne me laissant aucune marge de manœuvre pour les incidents de dernière minute comme celui-ci. Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’un ordinateur jouait avec mes nerfs.
Pendant mes études déjà, j’ai expérimenté comme tout étudiant (qui aime les sensations fortes apparemment) le coup classique de l’imprimante qui vous lâche la veille de la remise d’un travail écrit et vous amène à parcourir la ville à la recherche d’un imprimeur ouvert le dimanche.
Parfois, j’avais l’impression que, par principe, les documents hyper importants se liguaient toujours contre moi au dernier moment : plus de papier, papier coincé dans l’imprimante, ordinateur qui s’auto-suicide au milieu de la rédaction d’un document hypeeeeeer crucial sans prévenir (écran noir de la mort). Tous ces problèmes ne survenaient bizarrement pas aussi souvent lorsqu’il n’y avait aucun enjeu ou urgence particulière.
C’était sûrement cette satanée loi de Murphy.
A posteriori, j’ai réalisé qu’il n’y avait rien de mystique là-dedans. C’était d’une logique implacable : je ne mettais pas toutes les chances de mon côté pour parer à ces aléas propres à l’utilisation d’un outil informatique.
4. Computerliebe/Computer love [1]
Au bout de quelques incidents malheureux qui m’ont coûté pas mal d’heures de travail inutilement dédoublées, j’ai compris que je devais reprendre le contrôle sur cette satanée machine.
J’ai mis en place des petites stratégies. Par exemple, lorsque j’avais une échéance importante j’essayais de:
- inclure un temps de battement pour parer aux éventuels imprévus tels qu’une réunion à l’extérieur qui se prolonge ou un dossier urgent qui s’intercale dans mon planning, etc.
- m’imposer parfois des fausses deadlines intermédiaires histoire d’avoir une belle ébauche presque finale quelques jours avant le jour J (bon ok maximum un jour ou deux, on a dit qu’on était honnêtes).
- m’envoyer régulièrement par e-mail des versions d’un document de grande importance en plus de le sauver simultanément sur plusieurs supports (-« Bureau de la paranoïa bonjour, en quoi puis-je vous aider ? ) même si je dois avouer que de temps en temps mon esprit aime flirter à nouveau avec le danger apparemment hypnotisant de tout perdre sans le moindre back-up (mais pourquoiiiiii? les voies du cerveau et de son amour de la flemmardise sont parfois impénétrables).
- conserver précieusement le numéro de garde de l’IT en cas de panne après les heures de bureau (je ne rigole pas, ça peut sauver des heures précieuses de travail).
- me forcer à ne pas ouvrir inutilement 1001 fenêtres sur mon écran (bon là je mens je le fais encore) et veiller à redémarrer plus régulièrement que toutes les pleines lunes mon ordinateur (ce conseil de l’IT avait du sens finalement).
5. Relax, take it easy…
En soi, mes problèmes d’informatique n’ont pas réellement diminué (il y a toujours des nouveaux bugs ou virus pour pimenter les lundis déjà pourris) mais ces soucis techniques qui font partie de la vie professionnelle ont beaucoup moins d’impact sur mon travail et ma planification depuis que j’ai apporté ces ajustements.
Quant aux collègues informaticiens, j’ai appris à être plus indulgente à leur égard et partir du principe que la résolution du problème rencontré prendra du temps à coups d’essais-erreurs.
Pour la nouvelle conductrice que je suis (on reviendra dans un autre post sur cette histoire de permis), on peut comparer cela à un embouteillage : on a pas d’autre choix que de prendre son mal en patience jusqu’à ce que le bouchon se débloque enfin.
S’énerver et essayer de forcer le passage ne fera pas forcément disparaître la rangée de voitures qui nous précèdent.
Par exemple, à Bruxelles, dans les embouteillages horribles de la Rue de la Loi (artère bondée aux heures de pointes) j’ai pris le parti de mettre un bon son et m’improviser un petit concert solo (si vous voyez une personne en train de gigoter derrière son volant sur le chemin de retour du « Work Work Work Work [2], vous saurez que c’est moi et dans ma tête je gagne un grammy après ma performance). J’ai aussi récemment pris goût à l’écoute de podcasts pour adoucir ces pénibles trajets (peut-être dans un prochain post je vous dresserai une petite liste des podcasts qui me font du bien).
C’est dit. On ne m’aura plus à gaspiller mon énergie dans des énervements contre-productifs.
Il y a, en effet, peu de chances que la personne à l’autre bout du fil ait réellement envie de vous aider si vous êtes désagréable ou condescendant.
J’ai vraiment noté un changement de ton avec n’importe quel service technique ou administratif. Plus j’étais aimable au téléphone, plus la personne se sentait parfois presque obligée de trouver une solution et par là, je vise autre chose qu’un redémarrage de mon ordinateur. Kill them with kindess dit l’expression.
Et si ça nous saoule d’attendre à l’autre bout du fil, béni soit l’inventeur de la fonction silencieuse du micro du téléphone qui nous permet alors de nous concentrer sur autre chose sans être entendu (ou de pester sur l’opérateur en toute liberté, c’est selon mais chuuut ça c’est juste entre nous).
6. Une question de contrôle
Je ne suis pas en train de prôner le fait de réfréner ses émotions. Il n’y a pas de mal à se mettre en colère de temps en temps.
Il faut que les émotions sortent mais à terme, se mettre dans des états de stress et d’énervement extrêmes est une perte de temps et d’énergie trop précieuse, surtout lorsqu’on sait qu’on a un peu contribué à se mettre dans notre situation et qu’on ne peut pas vraiment revenir en arrière : le bug est une réalité.
J’ai parfois vu certains dans de tels moments de contrariété aller jusqu’à jeter leur clavier ou téléphone au sol dans un accès de colère.
Cela leur permettait peut-être de relâcher la pression sur le moment mais je m’interroge sur l’efficacité du processus tant pour la machine que pour l’état de frustration : le bug était toujours bien là. J’ai envie de dire, chacun son truc. No judgment zone.
Je préfère vous parler de ce qui a marché pour moi.
« Je crois que ce qui est difficile à accepter dans ce genre de situations, c’est justement le fait de perdre le contrôle des événements qu’on a planifiés. Dans le film de notre tête, ça devait se passer d’une certaine façon. »
Après le choc et la contrariété de ne plus être maitre de la situation, on a pourtant un choix :
- soit se laisser emporter par cette émotion générée par cette perte de contrôle mêlée d’angoisse ;
- soit reprendre un certain contrôle que ce soit en anticipant les soucis en amont ou – parce qu’on ne peut pas tout anticiper – en acceptant que notre plan initial est modifié et en assumer les conséquences :
- « Bon ben je vais devoir faire une nocturne » ou
- « Je vais rentrer manger et avertir mon responsable immédiatement que le rapport sera prêt pour midi au lieu de neuf heures vu la panne exceptionnelle. »
- Il sera peut-être compréhensif ou tout simplement fâché mais même s’il se fâche on lui assurera de mettre en place tous les mécanismes possibles pour éviter un tel retard à l’avenir et on s’y tiendra (question de crédibilité). Finalement, qui peut prétendre qu’il n’a jamais commis d’erreur. Le tout est d’éviter la répétition.
*
* *
Depuis, comme pour tout, j’ai constaté qu’il s’agissait d’une question d’état d’esprit : je m’énerve beaucoup moins contre mon ordinateur depuis que j’ai changé de mindset et de stratégie.
Alors, débrancher la prise comme nous demande l’opérateur IT c’est bien, mais lâcher prise c’est encore mieux !
Je suis certaine que tu as déjà rencontré des petits bugs agaçants – informatiques ou autres – qui désorganisent tes plans. Quels sont tes petits trucs pour garder ton calme quand tu perds le contrôle des événements? As-tu des moyens imparables pour éviter de te retrouver dans pareille situation ?
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On est ensemble,
Mrs W.
[1] Computerliebe/Computer Love est le titre d’une chanson assez futuriste (pour l’époque) du groupe allemand Kraftwerk : on y parle de l’amour via l’ordinateur (1981) sur un ton électro un peu robotique aux sonorités eighties mais à l’époque c’était apparemment assez visionnaire. Certains diront qu’ils sont les grands-pères de l’électro qui inonde aujourd’hui nos ondes. Je vous laisse juger : lien ici
[2] Pour ceux qui n’ont pas compris du premier coup, je fais ici référence au refrain entrainant de la chanson “Work” (2016) de la chanteuse Rihanna en duo avec le rappeur Drake (lien du clip ici) .