En y réfléchissant, je pense que cela doit me venir de l’éducation donnée par mes parents ou plutôt de leurs réactions par rapport à des situations qui nous disaient NON, sans aucune équivoque. Mais à chaque fois, ce n’était pas leur problème, car ils avaient décidé que ce serait oui, même si c’était improbable.
Ce n’est pas la première fois que je parle du NON (voyez l’épisode 6 la puissance du non qui abordait l’importance d’imposer des limites aux autres et à soi). Cette fois-ci, j’entends aborder la question du NON sous un tout autre angle. Never take no for an answer sera le thème du jour.
Cette expression que j’adore, j’ai appris à l’appliquer à des moments très personnels mais surtout dans la sphère professionnelle. C’est carrément devenu un état d’esprit qui m’a fortement aidée dans mon développement et que j’ai généreusement traduit ici par Il n’y a pas de non qui tienne ! Tout un programme…
Sommaire
- Flasback : de l’autre côté du tarmac
- Réclamer mon dû…
- Réclamer auprès des personnes adéquates : Mentor où es-tu?
- Never take no for an answer
- L’art et la manière de refuser un non
Flashback : de l’autre côté du tarmac
Il est des épisodes qui marquent une enfance.
Nous avons eu la chance, lorsque nous étions enfants, de pouvoir quitter notre petit nid en Europe pour nous rendre à plusieurs reprises au Congo, souvent pendant l’été, pour y passer du temps notamment chez mes grands-parents paternels qui vivaient à Lubumbashi.
A l’époque, il arrivait que nous séjournions d’abord quelques jours à Kinshasa, la capitale où nous avions également de la famille et ensuite nous prenions un vol interne en direction de Lubumbashi (ville du sud-est du Congo RDC, surnommée sans grande originalité « capitale du cuivre » vu la richesse de ses ressources minières).
Ce jour-là, à Kinshasa, nous étions extrêmement en retard pour rejoindre l’aéroport.
Je vous dresse rapidement le tableau noir (dans tous les sens du terme) : tous les passagers avaient déjà embarqué alors que nous n’avions même pas enregistré nos bagages. Toute personne normalement constituée se serait dit : – « Bon ben, on a raté le vol, on va devoir en réserver un autre ».
Il en fallait plus pour intimider mon père qui a commencé à crier sur les personnes responsables de l’enregistrement.
J’ignore ce qu’il leur a raconté (je ne parle pas le lingala) mais c’était apparemment assez convaincant pour qu’on nous laisse passer avec nos valises (non enregistrées) sur le tarmac.
Le plan consistait alors à courir armés de nos valises (de 2 x 23 kilos par personne quand même – on était quatre enfants/ados et deux adultes, je vous laisse imaginer la scène) afin de rattraper l’avion qui – détail insignifiant – avait déjà commencé à se préparer à sortir de la zone de parking des avions.
C’était clair, je nageais (ou planais?) en plein surréalisme dans sa version congolaise.
Pourtant, toute la petite famille au complet s’est finalement bien retrouvée dans cet avion en direction de Lubumbashi comme prévu (enfin sauf que dans mes souvenirs terrifiés, nos bagages ont failli rester sur ce fameux tarmac pour finalement être embarqués avec nous en dernière minute, je répète : ceci n’est pas normal !).
Ce genre d’épisode marque les esprits. C’est d’ailleurs resté une anecdote phare qu’on se remémore de temps en temps avec mes cousins de Kinshasa (qui avaient vu la scène de l’autre côté du tarmac) avec une bonne dose de fou rire familial même si sur le moment même, je peux vous assurer que je n’en menais pas large.
J’ai envie de croire qu’inconsciemment ce genre d’épisode m’a conditionnée, non pas à arriver en retard pour mes vols (je vous vois venir avec vos conclusions hâtives), mais surtout à ne pas me laisser intimider de prime abord par un NON, aussi flagrant soit-il, et ce, même dans le milieu professionnel.
Réclamer mon dû…
Lorsque j’ai commencé à travailler en cabinet (note pour ceux qui « débarquent » sur le site, j’ai commencé ma carrière comme avocate dans un cabinet d’avocats d’affaires, pour mon parcours cliquez ici ), les règles de rémunération étaient assez limpides: nous étions tous logés à la même enseigne pour la première année de stage. Une exception notable existait pour ceux qui disposaient d’un LLM (*).
(*) LLM, c’est quoi ce truc? Pour résumer: titre fancy qu’on peut traduire par master complémentaire en droit souvent obtenu à l’étranger idéalement en English et généralement pas à la portée de toutes les bourses…
Les heureux élus – qui, on est d’accord, avaient travaillé dur pour obtenir leur LLM – avaient droit à une augmentation forfaitaire de leur salaire mensuel. Vous l’aurez compris, je n’avais pas de LLM, donc pour moi la messe était dite. Pas vraiment de quoi discuter ou négocier.
Quoique, en y regardant de plus près, j’avais terminé majeure de ma promotion dans un master complémentaire en droit européen dans une université flamande – c’est pas Harvard mais bon – dans un programme en néerlandais et anglais (oui je suis comme ça moi, j’aime bien me compliquer la vie).
Et ça, ça ne comptait pas ? Pourquoi n’avais-je pas moi aussi les petits euros en plus comme les autres ? On m’a d’abord répondu laconiquement que ce n’était pas tout à fait pareil car je n’avais pas le fameux titre de LLM (y’a moyen d’enfoncer une porte ouverte? old news !) et en plus le droit européen n’avait parait-il rien à voir avec la matière que j’allais pratiquer dans ce cabinet d’avocats d’affaires.
Can I call it ?… Bullshit !
Réclamer auprès des personnes adéquates : Mentor où es-tu?
J’aurais pu rentrer chez moi et me dire tant pis ça n’a pas marché.
Impossible.
Je ne sais pas si c’est l’esprit de persévérance du tarmac kinois qui m’avait convaincue mais je n’étais pas prête à abdiquer.
C’est plutôt un sentiment d’injustice que je n’arrivais pas à avaler : en quoi avais-je moins mérité cette augmentation salariale que les détenteurs du titre de LLM? L’université où j’avais terminé ce master était de qualité pourtant (plusieurs éminents avocats et professeurs provenaient de cette université, notamment dans ma matière de prédilection).
Et entre nous, mon master n’avait pas franchement été une petite promenade de santé: j’avais littéralement dû me surpasser pour écrire une « thèse » de fin d’études en néerlandais en droit européen, participer à des simulations de procès avec des natifs néerlandophones et j’en passe.
Et les migraines que je me suis farcies les premiers mois car je n’avais jamais étudié de matière juridique en néerlandais de manière si intensive, on en parle quand? Je n’avais pas démérité.
Et me dire que le droit européen n’avait rien à voir avec les matières que je pratiquais n’avait juste aucun sens dans mon cas, je pouvais donner des exemples concrets où cette matière me servait au quotidien. J’étais d’ailleurs aussi collaboratrice scientifique à ladite université grâce à ce master, ce qui était positif en termes d’images pour le cabinet d’avocats.
Mes arguments étaient donc bien censés.
Je les ai expliqués calmement, non plus à cette personne qui m’avait envoyée à la gare (en suivant la procédure de manière presque robotique) mais à une personne qui pourrait influer sur le processus en tenant compte de mon cas particulier.
Parfois, il faut bien se rendre à l’évidence, on ne dispose pas de toutes les armes ou même des accès ou codes pour se faire entendre en haut lieu même si ce qu’on a à dire est censé et logique. Il faut alors pouvoir identifier les bonnes personnes ; ces facilitateurs (certains les appelleront mentors ou encore sponsors) qui seront capables de donner un petit coup de pouce dans la bonne direction pour que notre voix puisse être entendue.
Dans mon cas, il s’agissait d’une des personnes à qui je rapportais.
Never take no for an answer
Après de longues discussions, même si on m’a bien fait comprendre que normalement je n’y avais pas droit, j’ai reçu une longue missive qui me confirmait que l’augmentation allait finalement bien s’appliquer à mon cas tout à fait particulier.
C’était une petite victoire personnelle pour l’étudiante qui avait galéré pendant cette année d’étude supplémentaire, qui certes n’avait pas coûté des milliers de dollars mais m’avait coûté en investissement personnel et émotionnel.
En effet, lors de mon année de master, ma grand-mère paternelle – à laquelle on rendait visite dans l’enfance – est décédée inopinément. Ni une ni deux, toute la famille s’est rendue (en plein milieu de l’année académique) au Congo pour les funérailles.
Il devenait matériellement impossible pour moi de rendre mon mémoire en première session mais franchement à ce stade, il était plus crucial d’être auprès des miens.
Lorsque je suis revenue du Congo, j’ai dû rattraper mon retard et, contre toute attente, j’ai pu passer mes examens en première session. J’ai travaillé à mon mémoire d’arrache-pied pour le rendre en seconde session.
J’ai mis mes nerfs à rude épreuve cet été-là (première fois de ma vie que je ne terminais pas en première session – j’avais pas menti sur ma nerditude).
Lors de la proclamation de septembre, accompagnée de ma sœur et de mon père, le sentiment de victoire avait une saveur encore plus particulière quand j’ai entendu mon nom cité en premier lieu dans la liste des réussites avec grande distinction. Je n’y croyais pas et certains étudiants de ma promo (vu leurs regards) n’y croyaient pas non plus. – « Mais comment elle a fait ? » se disaient-ils peut-être.
J’aurais pu leur répondre « Dans ma famille, on peut rattraper un avion qui a déjà démarré sur le tarmac, mec ! »
L’art et la manière de refuser un non
Plus que l’argent dans cette histoire, c’est le sentiment d’injustice face à une demande de ma part tout à fait logique et correcte, qui m’a poussée à ignorer le non et persévérer en trouvant des stratégies susceptibles de m’orienter vers un oui.
Cela nécessite forcément d’aller un peu à contre-courant au risque de récolter des regards en coin ou murmures car on ose remettre en cause le système (mais pour qui elle se prend celle-là ?).
Cela peut être très inconfortable surtout quand on débute dans un nouvel environnement professionnel.
Alors tout sera dans l’art et la manière d’amener les choses. Point d’apitoiement ou d’émotivité (à aucun moment je ne leur ai parlé d’éléments personnels ou familiaux).
Le but n’est pas de faire pleurer dans les chaumières.
Des arguments d’une logique implacable facilitent la délivrance d’un message à contre-courant.
Si une personne fait blocage dans le processus ou ne semble pas avoir l’ouverture ou même l’envie de nous écouter : un médiateur, sponsor, mentor, ange gardien (appelez-le comme vous voulez) dont la voix portera plus fort sera parfois nécessaire pour contourner l’élément bloquant et faire valoir notre cause avec les bons codes auprès des décideurs.
Et si ça ne fonctionne pas, au moins vous aurez mis tout en œuvre pour arriver à votre but, sans regret du type « et si j’avais demandé, peut-être que… ».
Et après tout, même si le non l’emporte, ce ne sera certainement pas la dernière occasion d’atteindre vos objectifs : dans mon cas, je n’allais de toute façon pas indéfiniment rester au stade de stagiaire de première année. J’allais, par la force des choses, évoluer mais cela ne veut pas dire que cela ne vaut pas la peine d’essayer, surtout si on est dans son droit.
*
* *
Pour boucler la boucle de mon flahsback initial, disons que vous n’êtes pas condamnés à rester sur le tarmac, il finira bien par y avoir un autre vol en direction de votre Lubumbashi. Tenons-nous prêts…Comme le dit la chanson (**) : « Nothing can stop me…I’m all the way up !!! »
On est ensemble,
Mrs W.
(**) Je fais référence ici au hit de 2016 de deux pointures du hip hop Remy Ma feat. Fat Joe avec leur titre « All the way up ». Ah, je n’avais pas encore mentionné que j’appréciais un certain hip-hop? C’est chose faite.
4 comments
Pas toujours facile de se dire qu’on est en droit de se « battre» contre un non pour obtenir un oui. J’ai changé en peu de temps, ce qui est certainement lié à mon changement de boulot, mais je suis sure que ce genre de situation pourrait se produire encore dans mon cas. Merci dés lors pour ce récit qui me permettra de repenser dans des situations particulières à ces deux histoires et l’idée sous jacente de ce passage: « il n’y a pas de non qui tienne » 👌💪👏
Ravie que tu aies pu t’adapter et le faire beaucoup plus ! Parfois un autre contexte pro suffit pour être plus en confiance et oser plus fort. J’espère qu’en effet même dans d’autres situations moins « confortables » tu pourras repenser à ce mini message sous-jacent ! You can do it ! We all can do it !!! Merci de me suivre. Ça me touche 😊
J’ai longtemps tenté de trouver des moments où je pourrais être suffisamment concentrée pour continuer à lire et apprécier tes articles. Du coup je les lis au fur et à mesure ….mais dans le désordre . Et quel bonheur à chaque lecture!!! Merci!!!!!!😊
Hahaaa ravie que ça te plaise ! Prendre son temps pour apprécier j’aime cette idée !! Pas besoin du tout de se précipiter ! Enjoooy